Un exemple de minéral anthropogénique : le néalite, l’une des nombreuses espèces issues des anciennes scories retrouvées dans les mines exploitées au cours de l’Antiquité, dans le site du massif du Laurion, en Grèce. © RRUFF
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Les activités humaines sont en train de laisser une empreinte profonde dans les couches géologiques. En effet, dans leur inventaire, des chercheurs viennent d'ajouter 208 minéraux qui se sont tous (ou presque) formés très récemment à l'échelle géologique et qui n'ont pas directement d'origine naturelle. Ce sont autant de témoignages de l'ère dite « de l'Anthropocène », celle dans laquelle notre planète est profondément modifiée par l'action de l'Homme.
Dans plusieurs millions d'années, la présence de l'Homme sur Terre sera encore visible dans les sols. En effet, par ses activités, notre espèce est devenue une véritable force géologique comparable à toutes celles, d'origine naturelle jusqu'ici, qui ont laissé et laissent encore leurs traces dans les couches géologiques de notre planète. Bienvenue dans l'ère que les spécialistes nomment « l'Anthropocène » et qui se caractérise notamment par la modification de l’atmosphère, des sols et aussi de la chimie des océans par les multiples actions d'Homo sapiens.
Dans une enquête qui vient de paraître dans American Mineralogist, des chercheurs ont mis en évidence des témoignages supplémentaires de notre empreinte : l'apparition de nouvelles espèces minérales. Ainsi, sur les 5.225 minéraux connus sur Terre, quelque 208 ont été identifiés comme imputables directement ou indirectement aux activités humaines, soit 4 % du total.
Rappelons qu'un peu plus de la moitié des 5.225 minéraux reconnus par la International Mineralogical Association (IMA) se sont formés à la suite de la Grande Oxydation (de grandes quantités d'oxygène libérées par les bactéries photosynthétiques), survenue il y a plus de 2,2 milliards d'années. Une grande diversification qui s'est stabilisée sur le long terme et sans laquelle notre monde n'aurait pas l'aspect qu'on lui connaît aujourd'hui.
Vers une minéralogie de l’Anthropocène
La plupart des 208 nouveaux minéraux ajoutés au catalogue sont apparus depuis le milieu du XVIIIe siècle (début de la révolution industrielle), ont indiqué les chercheurs dans le communiqué de la Carnegie Institution for Science, à Washington. À l'échelle des temps géologiques, c'est plutôt très rapide : « Pour imaginer ce que représente 250 ans par rapport à 2 milliards d'années, illustre l'auteur principal, le minéralogiste Robert Hazen, cela équivaut à la différence entre un clin d'œil (un tiers de seconde) et un mois ». Une fois encore, à l'instar du réchauffement climatique en cours et de la sixième extinction de masse, notre impact sur la planète se fait à un rythme sans précédent.
À quoi ressemblent alors ces minéraux inédits, inconnus jusqu'alors sur Terre ? Sans surprise, les chercheurs en rencontrent beaucoup dans les décharges, où s'amoncellent différents types de matériaux fabriqués par l'Homme tels que les briques, gravats, porcelaines, plastiques, sans parler des minuscules composants électroniques.
« Il y a probablement toutes sortes de choses formées avec d'anciennes puces de silicium ou des batteries, commente le professeur Hazen, ajoutant que les téléviseurs ont tous utilisé des phosphores exotiques, des aimants et bien d'autres matériaux de haute technologie. Lorsque vous commencez à les hydrater et à les oxyder, vous trouvez beaucoup de nouveaux matériaux exotiques ».
À la recherche de nouvelles pierres
Les anciennes mines aussi sont de véritables filons pour ces minéralogistes de l'Anthropocène qui sont à la recherche de nouvelles pierres. Des roches demeurées enfouies durant des millions d'années s'y retrouvent soudainement exposées à la lumière (directe ou indirecte) et au contact de l'air et de l'humidité... favorisant ainsi la floraison de nouvelles espèces minérales.
Pour les auteurs, ce catalogue apporte de nouvelles pièces à conviction au dossier de l'Anthropocène, qui continue de faire débat au sein de la communauté scientifique : quand cette ère a-t-elle vraiment commencé ? avec la révolution industrielle ? lors de l'explosion de la première bombe atomique ? ou bien avant, à la fin de l'âge de glace ?
La composition et la distribution de ces minéraux dans le monde reflètent nos usages. Nul doute que, dans le futur, ceux-ci intéresseront autant les minéralogistes que les archéologues, ethnologues et historiens.
Article publié sur le site Futura Science