Un début laborieux
Le début de la 48e édition de la bourse de Sainte-Marie-aux-Mines (SMAM pour les habitués) était à l’image du temps, incertain et morose. Les premières discussions laissaient présager qu’il n’y aurait pas de nouveautés majeures. Plusieurs négociants de haut niveau ont abandonné l’espace prestige du théâtre. De très grands collectionneurs ne viennent plus. Ils se recentrent sur Tucson (version Westward look) et Munich et dédaignent de plus en plus l’ambiance bon enfant et populaire qui fait tout le charme de la Bourse de Sainte-Marie.
Quoi qu’il en soit, dès le déballage, la course aux affaires a commencé et, petit à petit, le pessimisme du début s’est atténué. Les négociants qui ont repris les emplacements vacants du théâtre ont été dynamiques et ont apporté une minéralogie originale. Plusieurs nouveautés sont apparues. Le (très) beau temps est revenu durant les derniers jours. Finalement, beaucoup de participants et de visiteurs ont été satisfaits de leur « Sainte-Marie ».
La course aux bonnes affaires commence
Une nouveauté bien problématique
La première nouveauté qui m’a été présentée était de magnifiques grenats d’Antétézambato (Madagascar). Ces grenats andradite se présentent sous les variétés démantoïde (verts), topazolite (jaunes) et d’autres variantes moins intéressantes (de couleur marron). Ils sont connus depuis deux ans et des bruits circulaient comme quoi le gisement n’était plus exploité. L’apparition de nombreuses pièces d’une qualité jusqu’alors rarissime avait de quoi surprendre. En plus de remarquables spécimens constitués de grands cristaux sur une gangue unie, il y avait des pièces où les cristaux de grenat sont parsemés parmi des cristaux de calcite et de quartz.
Le problème est que la grande majorité de ces pièces sont… des montages. Et de plus des montages tout à fait similaires à des spécimens authentiques (mais beaucoup plus rares). La plupart des commerçants ont bien indiqué les montages. Il n’y a donc pas, dans ce cas, de fraude stricto sensu.
Grenats collés sur une gangue unie
Grenats collés avec cristaux de calcite et quartz
La question maintenant est de savoir quel statut donner à ces objets. Il y a 20 ans on aurait parlé de « bidouilles » (« fakes » aux USA). La situation actuelle n’est plus aussi simple. Depuis les travaux de récoltes des rhodochrosites du Colorado, à la fin du 20e siècle, il est de plus en plus admis (aux Etats-Unis) de faire une distinction entre une réparation (« repair ») et une restauration (« restauration »). Une réparation est le recollage en place de cristaux brisés (normalement, sans rebouchage de parties manquantes), la restauration est une « construction » fidèle à ce qui est connu et n’employant que des minéraux trouvés à proximité du spécimen « restauré » (avec plus ou moins de résine parfois colorée et/ou chargée). La justification ici est de reprendre une pratique bien acceptée en paléontologie. La conséquence est que ces restaurations se vendent presque aussi chères que les pièces authentiques (et c’est presque un cadeau, dixit certains restaurateurs, car, après tout, n’ont-elles pas demandé plus de travail que les pièces non restaurées ?).
Le terme de « fake » est maintenant réservé aux manipulations non déclarées ou bien (il faut bien l’avouer) aux restaurations déclarées mais faites ailleurs que dans certaines officines « admises », états-uniennes surtout. Cette situation risque d’évoluer rapidement car un des plus grands restaurateurs des Etats-Unis implante des ateliers de restauration en Chine.
Si l’on se réfère à ce que l’on connaît avec d’autres thèmes de collection, on se doit d’être pessimiste sur ces évolutions. Une des spécificités des minéraux de collection est d’être des œuvres de la nature. Les minéraux « travaillés » et « inventés » se détournent de ce postulat et jettent un discrédit qui risque d’éloigner de nombreux amateurs.
Il était pourtant bien tentant d’acquérir une pièce de grenat habilement « restaurée » dont l’apparence est similaire à une pièce authentique mais dont le prix est parfois 100 fois inférieur (je pense à un exemple majeur bien précis).
Des nouveautés, redécouvertes et évolutions plus sereines
Il y a eu bien peu de nouveautés stricto sensu. La plus importante (en nombre d’échantillons) était les épidotes de Kharan (Balouchistan, Pakistan). Il s’agit de cristaux, assez peu attractifs, sans gangue avec un faciès tabulaire inhabituel, translucides et de couleur vert sombre. Je n’ai pas eu de confirmation sur leur détermination (au premier coup d’œil j’aurais opté pour une autre espèce).
Epidote de Kharan
Le Pérou produit encore des minéraux de grande qualité à des prix abordables (c’est un des meilleurs démentis contre ceux qui déclarent que les beaux minéraux sont inaccessibles). Les alabandites et les belles fluorites avec hübnerites se font rares. Cette fois-ci, il y avait un lot de belles et grandes barytes gemmes (Cerro de Warhuyn, Miraflores, Huanuco).
Baryte du Pérou
SMAM est la bourse européenne où il y a la plus forte concentration de marchands marocains (auxquels s’ajoutent les marchands spécialisés dans les productions du Maroc). Il ne faut donc pas s’étonner de trouver un résumé de ce qui se trouve actuellement dans ce pays. J’ai noté une belle gersdorffite (à un prix invraisemblable) et des érythrites (de Bou Azzer) qui renseignent sur ce qui a été sorti depuis quelques temps.
Gersdorffite (Bou Azzer)
Erythrite (Bou Azzer)
Il n’y a rien eu de notable de Russie, rien de comparable aux cuprites géantes qui ont fait sensation au dernier Tucson. Je n’ai vu que du 3e choix.
La Chine reste une source majeure de minéraux d’exception. J’ai remarqué plusieurs belles pyromorphites. Les molybdénites sur gangue (Dayu, Guangxji) comptent parmi ce que l’on connaît de mieux pour l’espèce, mais attention encore, beaucoup de cristaux sont redécoupés. Quelques rares ilvaites géantes (supérieures à 10 cm) sont apparues sur le marché, mais ont été acquises avant la bourse. Les ilvaites montrées étaient plus petites mais parfois bien belles. Cette année, l’approvisionnement en minéraux de qualité paraissait plus faible que les années précédentes. Certains s’inquiètent du futur car il devient de plus en plus clair qu’un marché interne de minéraux de collection est en train de s ‘établir en Chine. La création de musées géants y participe beaucoup. Signe de cette évolution, des commerçants chinois ont fait une offre pour acquérir les grandes fluorites chinoises d’un grossiste de la région stéphanoise.
Grande pyromorphite chinoise
Molybdenites chinoises
Depuis plusieurs années, on nous disait que les gisements de rhodizites-londonites de Madagascar étaient épuisés. Plusieurs lots on fait leur apparition. Les qualités sont variées. Les cristaux ont un éclat parfois terne, souvent porcelané et, plus rarement très brillant. Ils sont transparents à opaques et de couleur jaune canari, jaune verdâtre insaturée, à noire (due à des inclusions noires). Les dimensions peuvent être inhabituelles (supérieures à 5 cm). Les prix demandés sont inférieurs à ceux pratiqués auparavant mais attention : les cristaux joliment implantés sur une gangue blanche (kaolinisée ?) sont souvent d’habiles montages (restauration ou bidouille ?).
Rhodizite-londonite de Madagascar
Le Mexique a été encore bien représenté. Plusieurs commerçants avaient des azurites de Millpillas dont le rapport qualité-prix est tout à fait correct. Les dernières informations sur les grandes creedites de couleur rouille à orangé affirment que la partie de la mine de Abasolo (Navidad, Durango) où elles sont trouvées est effondrée et qu’elle ne sera plus exploitée.
Azurites de Millpillas
SMAM est aussi un haut lieu de la paléontologie de collection. N’étant pas spécialiste de cette discipline, je suis bien incapable de dire ce qu’il y avait d’important. Je regrette cependant ne pas avoir vu d’exposition de prestige comme les années précédentes. Pour être plus précis, j’étais curieux de découvrir l’exposition annoncée sur le célébrissime gisement de Messel. Je n’ai vu que des panneaux, des dépliants et des casquettes !
Les fossiles de Messel ?
Cocorico
Depuis plusieurs années, la minéralogie française connaît un essor extraordinaire qui n’est que rarement justifié par la qualité des spécimens (en comparaison à la production internationale s’entend). Cette situation n’a rien d’exceptionnelle, on la retrouve, depuis longtemps, en Allemagne, au Etats-Unis ou au Royaume-Uni. La minéralogie nationale est un thème de collection populaire, facile à maîtriser car les gisements et les informations sont beaucoup plus proches et accessibles. Cet essor est aussi dû à un effet générationnel : de nombreuses collections commencées dans les fastueuses années 1960-70 touchent à leur fin et sont mises sur le marché. Les occasions d‘acquérir des spécimens « anciens » sont nombreuses. Cette année, la collection Denis Boel était mise en vente. Il s’agit d’une collection connue, importante en nombre d’échantillons de bonne qualité et sans spécialisation dans une région particulière. L’autre collection mise en vente, celle du Dr Martin, est spécialisée dans les zéolites d’Espalion. Côté « découverte »s, un négociant a axé l’essentiel de son stand sur des pyromorphites récemment récoltées à Asprières (Aveyron). Rappelons que ces pyromorphites adoptent des formes arrondies et que leurs couleurs jaune à vert sont souvent insaturées.
Pyromorphites d’Asprières
La minéralogie de la France était encore mise à l’honneur grâce à deux vitrines d’exposition : l’une sur la mine des Malines et l’autre sur l’Oisans. De l’avis des aficionados, les spécimens présentés étaient de bonne qualité. Les textes (longs) de présentation étaient écrits dans un français curieux et perfectible (ont-ils été relus ?).
Exposition Oisans
EURO-GEM
Depuis plusieurs années, la bourse de SMAM est scindée en deux entités : Euro-Minéral consacrée aux minéraux et fossiles et Euro-Gem consacrée aux gemmes et à la joaillerie (majoritairement de fantaisie mais utilisant des gemmes naturelles). Euro-Gem prend de plus en plus d’importance. Si l’on veut s’initier ou se perfectionner à la gemmologie, cette manifestation est une très bonne occasion : on y voit une grande variété de gemmes, les commerçants n’hésitent pas à donner des explications, il y a un stand de détermination, une exposition de prestige y est présentée (cette année sur l’opale – voir plus loin) et les conférences sont intéressantes.
L’espace Euro-Gem
L’exposition de prestige sur les opales
Chaque année, les organisateurs de la bourse de SMAM choisissent un thème majeur. Cette année il s’agissait de l’opale. Une exposition, dans Euro-Mineral, présentait le côté minéralogique et géologique de ce minéral. Une autre exposition, dans Euro-Gem, était consacrée à la gemmologie. A proximité il y avait un espace consacré aux joailliers créateurs où l’on voyait des réalisations incluant cette gemme. Les opales exposées, de qualité correcte, étaient bien représentatives de nombreuses variétés de ce minéral et lui faisait honneur. Les textes quant à eux ne faisaient pas honneur au français. Bien qu’inégaux, souvent longs et parfois décousus, ils présentaient cependant plusieurs introductions acceptables sur cette gemme, (très) mal connue en France mais adulée en Allemagne et vénérée en Australie. Pour conclure reconnaissons que ces expositions étaient globalement agréables et instructives pour le néophyte.
Opales du Méxique (sic)
L’exposition opale à Euro-Gem
Geopolis et l’AFM : des stands remarqués
La Bourse de SMAM accueille aussi plusieurs associations qui produisent des animations. Citons pour commencer un membre important de Geopolis, l’Association Française de Microminéralogie qui offrait une initiation à cette discipline (avec des spécimens et des loupes binoculaires). Une affiche présentait l’afmite, un minéral nouveau découvert par Georges Favreau (ancien président de l’AFM). L’afmite serait le premier minéral dont le nom est dédié à une association d’amateurs (AFMite, pour les distraits qui n’auraient pas encore compris). Les liens tissés entre l’AFM et la collection des minéraux de l’UPMC (ex-Sorbonne, campus Jussieu) se sont renforcés ces dernières années grâce aux travaux communs effectués dans le cadre de l’association Jean Wyart. Georges Favreau, découvreur aussi de l’angarfite, a fait solennellement don d’un cotype de cette espèce ainsi que d’un cotype d’afmite à la collection de l’UPMC.
Le stand de l’AFM et son président
Remise par Georges Favreau des cotypes de l’angarfite et de l’afmite à la collection des minéraux de l’UPMC
Un stand, à l’extérieur et excentré, accueillait Geopolis qui pour l’occasion présentait des animations et des ateliers réalisés par la collection des minéraux de l’UPMC ou bien dans le cadre des travaux de recherches pédagogiques de Véronique Maufay-Gerstmans (voir le dossier « la géologie à l’école MAIE Martel » sur le site geopolis). Les ateliers avaient pour titre : « prière de toucher », « prière de toucher et de mesurer », « construisez votre goniomètre », « êtes-vous devenu un minéralogiste averti ? », « êtes-vous devenu un cristallographe averti ?», « les réseaux cristallins, fabriquer la maille élémentaire ». Ces ateliers avaient été présentés récemment, au mois de mai 2011, dans le cadre du salon international des jeux mathématiques (organisé par le CIJM). Une nouvelle animation sur le monde des polygones et polyèdre a été testée à SMAM, avec succès. Le stand exposait aussi plusieurs panneaux sur les cristaux et la chimie issus de l’exposition « le cristal : joyau de la nature, chef-d’œuvre du chimiste » qui est actuellement à la collection de l’UPMC (jusqu’en janvier 2012).
Le stand de Geopolis a connu un vif succès. Pendant deux jours, il a été assailli par des scolaires (heureusement les périodes de pluie ont été courtes). Les jours suivants on vu défiler des amateurs de cristallographie, de nombreux membres de Geopolis ainsi que des personnes et organismes intéressés par les animations. J’ai aussi procédé à des séances de signature des ouvrages « Minéraux remarquables de la collection UPMC-La Sorbonne » et « Le cristal et ses doubles ».
Deux piliers de Geopolis perplexes devant les polyèdres
Le stand Geopolis assailli
Restons zen
La bourse de Sainte-Marie est un des hauts lieux de rencontre de la lithothérapie et de tout un salmigondis de disciplines où les productions du règne minéral sont impliquées. Un espace « cristal & et santé » leur est dédié ainsi que des emplacements de conférences.
Si vous voulez savoir ce qu’il en est du Reiki, du Feng shui, des chakras, des mandalas, de la médecine holistique, des ondines, gnomes, elfes et autres élémentaux vous trouverez de nombreux spécialistes en spiritualité authentique, en médecine quantique, en cristallocosmie, en détection des ondes avec l’antenne de Lecher ou le testeur d’énergie Geobiolis. Plusieurs intervenants sont directeurs ou diplômés d’officines aux noms imposants comme cet « Institut Mandala du Boudha de la Médecine des thérapies alternatives appliquées ».
Toutes ces pratiques démontrent une fois de plus que l’on ne peut empêcher l’esprit humain d’explorer les voies les plus étranges au-delà de la réalité et de la raison. La recherche du merveilleux est aussi ancienne que l’humanité. Comme le dit le proverbe indien : « Dites nous des choses qui nous plaisent et nous vous croirons ».
La mystique minérale et ses avatars n’ont pas le même impact et la même histoire suivant le pays. La France l’a longtemps ignoré et reste plutôt cartésienne. L’Allemagne s’y intéresse beaucoup (la bourse de Munich y consacre un espace plus important que Sainte-Marie-aux Mines). On peut y voir une certaine tradition germanique dont on trouve les premiers exemples connus chez les mystiques chrétiens rhénans. Il s’y ajoute des apports plus récents extrême-orientaux, New Age et d’autres beaucoup plus personnels.
On peut s’y amuser et même y trouver une certaine poésie s’il n’y avait pas des tentatives (« lithoteralogiques ») récurrentes de justifier certaines pratiques avec un discours d’apparence scientifique. On trouve par exemple une thérapie basée sur la résonance diélectrique colorée des principales pierres précieuses. Or ces pierres (que l’on n’appelle plus précieuses) comme l’émeraude, les saphirs et les rubis ne sont pas du tout piézoélectriques. On trouve aussi des discours d’apparence historique et bien documentée dont on aimerait bien connaître les sources. On apprend ainsi (à propos de la rate) que : « les esséniens qui furent des thérapeutes initiés à l’époque de Jésus commençaient leurs traitements par une relance du « petit soleil » (chakra rate) ». On pourrait citer encore beaucoup d’autres exemples dont les meilleurs et les plus improbables sont fournis durant les conférences.
Vers Colmar !!!
SMAM est victime de son succès. Son extension avec Euro-Gem rend les contraintes de sécurité de plus en plus ardues. Les parkings sont sursaturés. Le développement d’un marché plus luxueux intéresse une clientèle potentielle, plus huppée qui apprécie moyennement l’inconfort actuel. Depuis plusieurs années, on évoquait l’hypothèse de transférer SMAM dans la magnifique ville de Colmar. Cette année, la décision a été prise et publiée dans les nouvelles d’Alsace : au plus tard dans 5 ans, la bourse aura lieu à Colmar.
Dr Jean-Claude Boulliard
Directeur de la collection des minéraux de l’UPMC-Sorbonne Universités
Professeur à l’Institut National de Gemmologie