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DOSSIER : LA COULEUR DES CRISTAUX ET DES MINERAUX

 

par Jean-Christophe FILLOUX
professeur de sciences physiques dans un lycée de Poitiers (Vienne)

 



Pour la plupart des gemmes et des minéraux, le caractère le plus évident ou l’aspect qui frappe le plus immédiatement l’observateur est la couleur. Les causes de coloration des minéraux sont multiples et la complexité des théories permettant leur étude ne facilite pas la transmission des connaissances sur ce sujet.

Les théories permettant l’étude des causes des colorations des cristaux reposent toutes sur de la chimie et de la physique. Dans toutes les causes de coloration décrites dans cet article, à l’exception de la dernière, la clé de la compréhension de la couleur réside dans le comportement des électrons célibataires (présents dans les atomes ou les ions) et dans leur interaction avec la lumière, régie par les conditions restrictives de la théorie quantique. Dans la plupart des minéraux, la couleur provient de l’absorption sélective de la lumière blanche selon différents processus ; dans certains cas plus rares, c’est le cas du dernier mécanisme abordé dans cet article, ce sont des effets d’optique qui créent la couleur.

Des recherches scientifiques récentes ont permis d’identifier six causes spécifiques permettant d’expliquer la couleur des cristaux. Voici donc un rapide tour d’horizon sur les principales causes de coloration, illustrées de quelques exemples. Si vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet passionnant, vous trouverez à la fin de l’article, une liste de sources d’informations en langue française.
  1. La coloration " idiochromatique ", produite par certains ions métalliques présents en grande quantité; il existe environ 12 ions métalliques d’éléments de transition (voir annexe) pouvant colorer les cristaux. Ce type de coloration donne une seule couleur caractéristique du minéral. L’ion métallique responsable de la couleur est présent dans la formule chimique du minéral, puisqu’il s’y retrouve en grande quantité.

    Azurite L’AZURITE :
    Carbonate de cuivre hydraté
    de formule chimique
    Cu3(CO3)2(OH)2
    La couleur idiochromatique bleu azur de l’azurite s’explique par la présence d’ions cuivre (II) Cu2+en grande quantité dans le minéral.

    Azurite - hauteur : 5 cm - Mine de Touissit, Maroc - Spéciment : J.Favre - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Jeffrey Scovil ©

  2. La coloration " allochromatique ", produite par certains ions métalliques (éléments de transition), présents en très petite quantité. Ces ions métalliques sont des impuretés présentes à l’état de " traces " dans le minéral ; sans impureté, de tels cristaux sont théoriquement incolores.

    L’EMERAUDE :
    béryl vert chromifère
    de formule chimique
    Be3Al2(Si6O18)
    (Aluminosilicate de béryllium)
    La coloration allochromatique vert intense des émeraudes s’explique par la présence d’impuretés, à savoir des ions chrome Cr3+. Il faut également noter l’existence de certaines émeraudes dites " vanadifères " dont la couleur verte est due à des ions vanadium V3+.

    Emeraude - 4 cm - Muzo, Colombie - Coll : Musée canadien de la Nature, Ottawa, Ontario, Photo publiée avec l'aimable autorisation de Jeffrey Scovil ©

    Emeraude
    Kunzite LA KUNZITE :
    variété de spodumène de couleur rose lilas,
    Silicate de lithium et d’aluminium
    de formule chimique LiAl(SiO3)2
    La coloration allochromatique rose s’explique par la présence d’ions manganèse Mn2+, dispersés dans le cristal à l’état de traces. La Kunzite possède un trichroïsme très marqué, se traduisant par trois colorations différentes suivant trois axes d’observation.

    Kunzite - 11.8 cm - Nuristan, Afghanistan -William Larson Collection - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Jeffrey Scovil ©

    Questions souvent posées au sujet de la couleur des minéraux

    • concernant le lithium Li ? On croit souvent que Li est la cause de diverses couleurs dans les minéraux (par exemple la couleur rose lilas de la Kunzite). En réalité il n’en est rien, l’ion Li+ n’est pas responsable de la couleur, mais il accompagne fréquemment d’autres ions tels que l’ion manganèse Mn2+ qui eux, représentent la cause réelle de la couleur.

    • concernant le césium Cs ? On croit souvent que Cs est la cause de diverses couleurs dans les minéraux. En réalité il n’en est rien, l’ion Cs+ n’est pas responsable de la couleur, mais il accompagne fréquemment d’autres ions tels que l’ion manganèse Mn2+ qui eux, représentent la cause réelle de la couleur.

  3. La coloration due à la présence de " centres colorés " dans le cristal. Les centres colorés correspondent à différents défauts dans la structure du cristal (empilement ordonné des ions). Ces défauts de structure sont généralement créés par une irradiation naturelle (radioactivité...) ou artificielle. On peut avoir par exemple dans la structure cristalline, des ions manquants (lacunes) ou des ions additionnels (interstitiels). Un bon critère de reconnaissance des centres colorés est très souvent la disparition de la couleur par exposition à la lumière ou à la chaleur et son rétablissement par irradiation.

    L’AMETHYSTE
    Variété de quartz SiO2 de couleur violette
    La coloration violette de l’améthyste dépend d’un centre coloré faisant intervenir l’ion fer (III) Fe3+ présent à l’état de traces, en substitution de certains ions silicium Si4+. La couleur de l’améthyste n’est stable que jusque vers 250°C ; la plupart des améthystes se décolorent au delà. Le chauffage d’une améthyste permet d’obtenir une coloration jaune ou verte, de type allochromatique puisqu’elle résulte de la présence d’ions fer (Fe2+ ou Fe3+) à l’état de traces.

    Améthyste - 6 x 10.5 cm - Artigas, Uruguay-Coll : Musée canadien de la Nature, Ottawa, Ontario - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Jeffrey Scovil ©

    Améthyste
    Fluorite LA FLUORITE
    Fluorure de calcium
    de formule chimique CaF2
    La fluorite possède une très grande variété de couleurs. La couleur violette des fluorites s’explique par la présence de centres colorés où un ion fluorure F- est remplacé par un électron.

    Fluorite - 4.4 cm - Elmwood Mine - Smith County, Tennessee- Photo publiée avec l'aimable autorisation de Bill & Elsie STONE - The Sunnywood ©

  4. La coloration due aux phénomènes appelés " transferts de charges ". Ce type de coloration est en relation avec les orbitales moléculaires. Un électron, charge négative, passe d’un atome à un autre. Il existe trois types de transferts de charges : transfert de charge oxygène-ion métallique, transfert de charge d’intervalence c’est à dire ion métallique-oxygène-ion métallique, et transfert de charge par délocalisation d’électrons n’impliquant pas d’ions métalliques.

    L’AIGUE MARINE :
    béryl bleu clair à bleu verdâtre Be3Al2(Si6O18)
    (Aluminosilicate de béryllium)
    La coloration bleue caractéristique de l’aigue marine peut s’expliquer par la présence d’ions fer (II) Fe2+ en impuretés, ainsi que par le transfert de charge d’intervalence Fe2+-O-Fe3+

    Aigue-Marine - Hauteur 5 cm - Pech, Nuristan, Afghanistan - Spécimen : Andreas Weerth - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Jeffrey Scovil ©

    Aigue Marine
  5. La coloration due à la " théorie des bandes de valence " valable pour les métaux et les semi-conducteurs.
    Dans ce cas, c’est la structure électronique du cristal tout entier qui est responsable de la couleur. Les électrons de certains minéraux sont délocalisés à l’intérieur du cristal tout entier, et produisent de la couleur par une interaction avec la lumière visible. Une telle délocalisation est une propriété caractéristique de la plupart des métaux et des semi-conducteurs. La théorie des bandes produit des couleurs qui ne peuvent être provoquées ou améliorées par un traitement commercial car elles sont directement reliées à la structure du cristal et ne dépendent pas de quelques défauts ou de concentrations d’impuretés.

    Pépite d'or L’OR métal Au
    La couleur jaune de l’or pur, s’explique par la théorie des bandes de valence. Cette couleur est si spécifique que ce métal définit la nuance " jaune d’or ". Les variétés pâles sont celles qui contiennent de l’argent, tandis que l’apport de cuivre donne une couleur jaune orangée.

    Or - 3.8 cm de haut - Roraima, Venezuela - Specimen : Rarieties - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Jeffrey Scovil ©

  6. La coloration " pseudochromatique ", due à des phénomènes optiques (dispersion, diffusion, interférence ou diffraction de la lumière).
    Ce type de coloration s’explique par l’interaction de la lumière avec certaines caractéristiques physiques telles que des inclusions, une texture particulière, ou la structure même de la gemme, par exemple une structure lamellaire déterminée.

    L’OPALE NOBLE
    Silice hydratée de formule chimique SiO2,nH2O
    Les irisations de l’opale noble sont un effet d’optique ; elles résultent de la diffraction de la lumière à travers un empilement compact plus ou moins régulier de minuscules billes de silice. L’opale est une des rares gemmes qui peut présenter toutes les couleurs du spectre visible dans une seule et même pierre. La couleur de chaque parcelle de l’opale dépend de l’orientation de la source de lumière incidente ; lorsque la pierre bouge, la couleur change, et c’est ce qui donne la vie à l’opale. De plus, la couleur de l’opale dépend également de la grosseur des billes de silice et de l’espacement des différentes couches parallèles dans lesquelles elles sont régulièrement rangées.

    Opale Boulder - 7.6 cm x 5.7 cm - Queensland, Australie - Coll. R. McCarver -Photo publiée avec l'aimable autorisation de Kevin Ward & The Mineral Gallery ©

    Opale

ANNEXE: Les 12 ions métalliques issus d’éléments chimiques de transition (sous couche électronique d incomplète) pouvant colorer les minéraux sont : Ti3+ (titane) ; V3+ et V4+ (vanadium) ; Cr3+ et Cr4+ (chrome) ; Mn2+ et Mn3+ (manganèse) ; Fe2+ et Fe3+ (fer) ; Co2+ (cobalt) ; Ni2+ (nickel) ; Cu2+ (cuivre). Les éléments Cérium Ce et Uranium U peuvent être également responsables de colorations..


BIBLIOGRAPHIE EN LANGUE FRANCAISE:

  1. Ancienne Revue "Monde & Minéraux" n° 67, 69 et 70 (article complet de 1985 : "La couleur des minéraux et des gemmes" en trois parties, écrit par Emmanuel Fritsch, Professeur et chercheur C.N.R.S. à l’Institut des Matériaux de l’Université de Nantes, Laboratoire de Physique Cristalline - Equipe Gemmologie).
  2. Revue de minéralogie "Le Règne Minéral quot; n° 2 et 3 (article de 1995 : "La couleur des minéraux" en deux parties, écrit par Jacques Galvier).
  3. Revue de l’association française de gemmologie (A.F.G.) n° 46 de mars 1976 : traduction française de l’article du chercheur américain Kurt Nassau intitulé "D’où provient la couleur des gemmes et des minéraux ?"
  4. Traduction française d’un article de M. Emmanuel Fritsch (C.N.R.S. Nantes), publiée en Mars 1990 dans la revue "Gemma" de l’association Québécoise de Gemmologie (AQueGem) ; l’article original en anglais est paru dans la revue américaine "Gems & Gemology" Vol. XXIII Number 3.
  5. Article intitulé "Le traitement des gemmes " de M. Fritsch, Shigley, Lasnier , publié dans la revue "Pour la Science" N° 245 de Mars 1998.
  6. Livre "Larousse des pierres précieuses " de P. Bariand et J.P. Poirot (édition de septembre 1998).

SITES INTERNET:

    • http://minerals.gps.caltech.edu (Université américaine de Caltech) Ce site web contient des données sur la couleur des minéraux, dont les gemmes, et des spectres de grande qualité UV-visible-infrarouge.

REMERCIEMENTS : j’ai été particulièrement sensible à l’aide qui m’a été apporté lors de mes recherches d’informations sur la couleur des minéraux par M. Fritsch chercheur C.N.R.S. à l’université de Nantes, par Mme Borioli de l’Association Française de Gemmologie, par M. Bayle directeur de la revue "Le Règne minéral", et enfin par M. Schwab, responsable de la bourse minéralogique internationale de Sainte-Marie-aux-Mines.

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