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A l'origine...

1 JourniacC'est le naturaliste Debey qui, antérieurement à 1849, aurait le premier dénommé Ancistrodon un reste de poisson identique à notre spécimen provenant du Crétacé d'Aix-la-Chapelle. Malheureusement cette référence reste introuvable car il semble que son travail soit resté sous forme manuscrite, bien que porté à la connaissance d'autres naturalistes de l'époque.

En 1849, mais surtout en 1852, M.F. Roemer décrit une dent, recourbée et comprimée, identifiée comme Ancistrodon sp. dans le Crétacé du Texas. Cela correspond à peu près à la partie en forme de griffe de notre exemplaire, si on en croit la figuration (figure 10 au milieu de dents de sélaciens). Elle est considérée comme une dent de type inconnu.

En 1854, F.-J. Pictet dans l'inventaire des squalidés fossiles évoque le genre Ancistrodon, connu que par quelques dents dans la craie, et considère cependant qu'il y a une incertitude quant à sa situation exacte. Il précise : "M. Debey en a indiqué une espèce dans la craie d'Aix-la-Cbapelle, et M. F. Roemer en cite une des mêmes terrains du Texas".

En 1859, P. Gervais illustre des dents comprimés provenant de l'Eocène (Aude) qu'il attribue à des poissons de type Sargus, avec les espèces Sargus (?) serratus et Sargus ? armatus. En voici une figuration partielle dans laquelle les numéros 8, 9 et 10 peuvent présentent des ressemblances avec ce qu'on observe sur notre exemplaire.

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Encore des incertitudes

On ne peut résister à reproduire la manière dont les "anciens" reportaient leurs travaux dans les comptes rendus des séances des académies des sciences, ici à l'origine à l'Académie Royale des Sciences de Belgique. Il s'agit en l’occurrence d'une communication de L. De Conninck en 1870.

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Voici comment ce savant introduit son article : "II y a quelques années, mon excellent et regrettable ami Waterkeyn, dont la sante n'a pu résister aux fatigues de sa charge , ni a son ardeur pour l'étude des sciences physiques et naturelles, découvrit dans la craie blanche de Meudon, près Paris, un débris de poisson, de forme remarquable, qu'il eut l'obligeance de me confier pour en faire l’examen et en publier la description. Si je m'acquitte un peu tardivement du devoir qui m'incombait, cela tient a diverses circonstances qu’il est inutile d'exposer ici, mais parmi lesquelles I'état de ma sante et l'affaiblissement de ma vue ont joue le plus grand rôle."

Puis il aborde l'objet en question par ces mots : "Ce reste de poisson possède une forme si particulière et si différente de tout ce que l'on connaît, qu'il est assez difficile de se prononcer d'une manière absolue sur la nature de la fonction à laquelle il a dû servir." et plus loin : "Sir Philip de Malpas Gray Egerlon, l'un des plus savants ichthyologues de notre époque, que j'ai consulté à cet égard, m'a donné l'assurance de n'avoir encore rien observé de semblable."

De fil en aiguille et après diverses considérations il propose donc de créer un nouveau genre dénommé Ankistrodus et une nouvelle espèce Ankistrodus splendens. Il est à noter que dans une séance suivante il indique que compte tenu d'une antériorité d'utilisation du terme, il faudrait substituer le nom Ancistrognathus à celui d' Ankistrodus.

L'échantillon type figuré ci-dessous a été déposé au Musée de l'Université de Louvain.

5 Journiac

Comme on peut le constater ce n'est pas tout à fait la même dent que la nôtre même si globalement elle présente la même morphologie. Elle devait avoir en fait une autre place dans la mâchoire du poisson.

 

Le temps des discussions et encore des interrogations

▪  De nouveaux exemplaires

En 1872, un sieur P. Gervais revient sur la découverte de De Conninck.

6 Journiac

Dans son article, cet auteur indique qu'il connaît 4 autres exemplai-res de cette forme de dents: "Le premier a été signalé et figuré par moi, à propos de l'Onchosaurus, mais sans que j'aie essayé d’en classer l'espèce ; il appartient au cabinet de l'École des mines ; un moule du second fait partie des collections du Muséum ; le troisième appartient au cabinet de géologie de la Sorbonne, et m'a été communiqué par M. Hébert Le quatrième exemplaire faisant partie des collections françaises est moins grand que le troisième, mais à base également très saillante. Il provient de la craie d’Arvert (Charente-Inférieure), et a été donné au Muséum par M. le D. Chevallier."

On remarque plus nettement sur ce troisième exemplaire figuré des caractéristiques identiques au nôtre. Il est encore identifié alors comme Ankistrodus, mais son affinité avec des poissons modernes demeure incertaine.

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  • Et pourquoi pas Corax ?

Dans ses ouvrages « Mémoire sur les poissons du terrain bruxellien (Eocène) » et « Deuxième mémoire sur les poissons du terrain bruxellien », Wrinkler propose en 1874 et 1877 le nom de Corax fissuratus pour une des dents de poisson du même type. Un nouveau nom vient donc de faire son apparition.

 

  • De Ankistrodus on revient à Ancistrodon

En 1879, C. Ubaghs signale la présence d'une nouvelle espèce Ancistrodon nov, sp. dans le Crétacé (Maestrichtien) du Limbourg, mais sans description.

8 JourniacEn 1881, C. Schlüter précise la description (traduite de l'allemand) du genre Ancistrodon : "La dent est aplatie sur toute sa longueur, 1,5-2 mm d'épaisseur, environ 2-3,5 mm de large, 6-7 mm de long, arrondie sur les bords latéraux. Il se compose de deux parties principales. La partie inférieure de l'émail ou de la couronne ne mesure que 1/4 de la longueur de la partie racine, est translucide semblable à de l'hyalite, insérée obliquement sur la partie racine et à l'extrémité inférieure du biseau en une courte ligne droite ou quelque peu incurvée dirigée vers le large surface de la dent entière crochet émoussé incurvée. Le morceau de racine plat (à l'état fossile) est recouvert d'un émail brun noirâtre brillant et légèrement et irrégulièrement strié longitudinalement". Cela correspond assez à notre exemplaire. Sur la figuration, on remarque cependant une racine très longue.

 

  • Ancistrodon en vedette

En 1883, W. Dames consacre un travail (en Allemand) au genre Ancistrodon, créé par Debey comme on l'a vu. Il prend acte des indications de Ubaghs et Schlüter et reproduit un dessin de l'exemplaire d'Aix-la-Chapelle, figuré par Schlüter ci-dessus.

Il note l'analogie avec des poissons de type baliste, mais prudemment sans en tirer de conclusions définitives. Il décrit plusieurs nouvelles espèces d'Ancistrodon  enbénéficiant de l'examen de nombreux exemplaires provenant du Crétacé supérieur d'Aix-la-Chapelle, de Lybie, du Texas et aussi de l'Eocène et de l'Oligocène. Dans la figuration ci-dessous on peut retenir les numéros 6 (Crétacé de Lybie) et 9 (Eocène d'Egypte) comme étant proches de notre exemplaire, mais surtout le numéro 6.

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▪  Une piste sérieuse

En 1890, A. Gaudry, alors professeur à la chaire de Paléontologie du Muséum de Paris et fondateur de la paléontologie évolutive moderne, intervient à son tour un peu philosophiquement sur Ancistrodon : "...dans la classe des poissons comme dans les autres classes du monde animal, il y a eu sans doute des types qui ont été cantonnés dans les temps secondaires et ont péri avec eux;

leurs différences avec les formes actuelles paraîtront plus grandes, lorsque nous les étudierons mieux. Mais, d'autre part, des enchaînements devront apparaître là où tout d'abord nous avons cru voir des lacunes.

J'en peux citer comme exemple les dents d'Ancistrodon. MM. Debey, Roemer, Winkler se sont demandé si ce ne seraient pas des dents de squales; de Koninck, si ce ne seraient pas des dents d'Hybodus; Gervais, si ce ne seraient pas des incisives de Sargus. En réalité, personne ne savait ce qu'elles pouvaient être, quand M. Dames, sur les conseils de M. Hilgendorf, ayant regardé au fond de la bouche des Balistes, découvrit que les dents d'Ancistrodon étaient des dents pharyngiennes conformées à peu près comme dans les types actuels".

C'est bien la même dent que la nôtre et elle provient de Charente Maritime !

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Encore une couche de confusion: quel nom adopter ?

  • Retour en Belgique avec Ancistrodon de l'Eocène

Cependant, comme rien ne sera simple dans l'histoire de notre poisson, M. Leriche décrit en 1905, toujours dans la famille des Balistidae, des éléments dentaires de poissons de l'Eocène de Belgique sous le nom d'Ancistrodon. Il propose ci-dessous une figuration de dents d'Ancistrodon armatus dont le numéro 32 est également assez proche du nôtre.

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  • Ancistrodon retourne dans le Bassin Parisien

C'est Priem qui en 1908 revient sur les dents de la craie de Meudon en préférant Ancistrodon à Ankystrodus. Il figure un exemplaire l'espèce Ancistrodon splendens de De Coninck (voir plus haut) qui est en fait un moulage d'une pièce conservée à la Sorbonne !

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  • Ancistrodon est encore dans la craie

En 1909 J. Cornet a déterminé des dents en forme de griffes appartenant à une espèce inédite d'une genre très rare, Ancistrodon. Il les considère comme des "géants" du genre ! Il n'y a pas de figuration.

 

  • Encore vers un autre nom : Acrotemnus

Notre ami Leriche, cité plus haut, décrit cette fois en 1911 plusieurs dents de poissons trouvés dans la craie, près de Mons dans le Hainaut. Certaines de ces dents présentent les caractères des dents que Debey avait dénommé Ancistrodon. L'examen d'autres dents associées dans le même échantillon l'amène à compléter les caractéristiques du poisson.

Et c'est parti pour une nouvelle dénomination de dents d'un poisson appartenant aux Pycnodontidés avec l'espèce Acrotemnus splendens à la place d'Ancistrodon splendens. Les dents en crochets sont qualifiées de dents préhensiles. Malheureusement la figuration disponible est très mauvaise, mais on y devine des caractères assez significatifs.

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  • Toujours Ancistrodon

Dans son travail sur la géologie de l'Egypte de 1914, E. Stromer utilise toujours le nom d'Ancistrodon pour signaler plusieurs échantillons dans des calcaires du Crétacé.

 

  • Et encore un autre : Stephanodus

Suivant en cela les recommandations de Weiler (1930) et de White (1930) dont je n'ai pu retrouver les articles, Arambourg, le grand spécialiste français des Vertébrés fossiles, estime en 1952 qu'il faut substituer le nom de Stephanodus à celui d'Ancistrodon !

Avec ces exemplaires des phosphates du Maroc, il y a quelques ressemblances mais il manque toute la partie inférieure de notre dent (la racine).

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Les confusions demeurent au XXIème siècle

L'étude récente de Kriwet, en 2005, du crâne et de la dentition de poissons pycnodontes, permet maintenant de bien replacer les dents comme la nôtre dans la mâchoire. Il s'agit bien de dents pharyngiales d'un poisson pycnodonte qu'on peut rattacher aux balistes au sens large. L'auteur revient d'ailleurs sur les exemplaires fossiles et sur l'historique mouvementé des appellations diverses des mêmes dents. Malheureusement il ne donne pas d'indications claire sur la meilleure dénomination à adopter. Voici cependant ce qu'il donne comme figuration sous le nom d'Ancistrodon.

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